MÉMOIRE DU RÉSEAU CANADIEN
DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE COMMUNAUTAIRE

Résumé

Les gouvernements sont à la recherche de moyens pour soutenir les familles et les enfants, renforcer l’apprentissage et l’innovation et encourager la participation de la collectivité à l’ère des contraintes financières. Avec le vieillissement de la population qui accentue la pression sur le marché du travail, l’augmentation des coûts des soins de santé qui pèsent lourdement sur les budgets et les initiatives de réduction des émissions de carbone qui provoque des changements économiques, le besoin d’assurer aux Canadiens, de manière rentable, les biens et services de première nécessité est renforcé. 

Les collectivités locales sont mieux placées pour surmonter leurs propres défis, mais les gouvernements peuvent contribuer à la création des conditions pour ces collectivités – ainsi que les économies qui assurent leur subsistance – pour réussir. 

Les entreprises communautaires qui adoptent une approche de développement fondée sur les actifs, favorisant l’auto-développement et créant la résilience individuelle et communautaire présentent des solutions de rechange efficaces par rapport aux coûts qui peuvent contribuer à une reprise économique durable au Canada, créant des emplois durables et faisant face aux défis de la politique économique d’aujourd’hui. 

Le gouvernement fédéral doit appuyer le développement des entreprises communautaires par la mise en place d’un programme national d’expérience de travail pour les jeunes, par des initiatives de changements de pratiques d’approvisionnement et par la création du Fonds d’investissement d’impact du Canada. 

Contexte

Après 20 ans de diminution constante, les inégalités et les taux de pauvreté ont augmenté rapidement entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2000, atteignant des niveaux dépassant la moyenne de l’OCDE.[1] Dans un rapport de la Ontario Association of Food Banks[2] rédigé par Don Drummond de TD Bank Financial Group, James Milway de l’Institute for Competitiveness and Prosperity et Judith Maxwell on a estimé le coût de la pauvreté pour la société canadienne entre 24 et 30 milliards de dollars annuellement.

Les coûts de la pauvreté peuvent être réduits. Dans un rapport du comité des finances du Parlement écossais, on a estimé que 40 à 45 % des dépenses publiques en Écosse sont consacrées à la satisfaction des besoins demeurés sans réponse – les dépenses à court terme visant le règlement de problèmes sociaux. L’une de ses conclusions était le fait que l’adoption d’approches préventives, en particulier celles reposant sur la participation active des utilisateurs des services et des collectivités, contribuerait considérablement à utiliser le mieux possible les fonds et autres actifs.[3] 

L’innovation sociale au sein des collectivités partout au Canada a généré des solutions locales aux problèmes locaux, présentées par les entreprises communautaires qui s’attaquent directement aux racines de la pauvreté tout en appuyant la participation des populations sous-utilisées à la vie active. Les entreprises communautaires créent des occasions économiques ciblées pour les immigrants récents, les femmes, les Autochtones et les personnes handicapées, entre autres. Les entreprises communautaires créent de nouveaux modèles de prestation de services dans les services de soins de santé et les services sociaux. Les entreprises communautaires élaborent des solutions de rechange durables et locales pour la production de biens et services. Les entreprises communautaires sont en mesure d’être sensibles à la sexospécificité et adaptées pour atteindre une vaste gamme de collectivités. Pour ce faire, elles ont recours à une variété d’outils et de stratégies : 

·         Nouveaux instruments de financement pour les entreprises à but non lucratif et les entreprises communautaires;

·         Une nouvelle vague de création de coopératives notamment les coopératives multilatérales élaborant des solutions novatrices dans un ensemble de secteurs sociaux et économiques;

·         Des approches adaptées pour intégrer les populations à haut risque en leur trouvant des emplois par l’entremise d’entreprises qui associent recettes gagnées et sources de financement progressives privées et publiques;

·         Des coopératives et projets à but non lucratif qui augmentent l’accessibilité au logement;

·         Des projets d'énergies renouvelables communautaires et des stratégies de réduction d’émissions de carbone et d’économies d’énergie;

·         Des approches communautaires globales quant à la revitalisation de la collectivité et à la réduction de la pauvreté.[4]

Le gouvernement fédéral commence à reconnaître la valeur de ces approches et nous saluons l’initiative de RHDDC visant à élargir le programme de microprêts de l’Immigrant Access Fund (IAF) à Calgary. L’IAF offre de petits prêts sans but lucratif afin d’aider les immigrants à acquérir l’accréditation et la formation canadiennes dont ils ont besoin dans leur domaine de spécialité. Ces prêts aident les immigrants compétents à délaisser les emplois peu rémunérés « de survie » pour occuper des emplois leur permettant de mieux utiliser leurs précieuses connaissances et compétences. Selon des estimations très prudentes, le programme génère des taux de rendement réels annuels de 33 % ou plus. Les taux de rendement sont même plus élevés pour les professions à rémunération élevée comme la santé et l’ingénierie, qui sont de 58 % pour les infirmiers, 32 % pour les ingénieurs et de plus de 100 % pour les médecins.[5]

D’autres initiatives à la grandeur du pays démontrent la manière dont les investissements ciblés qui renforcent la résilience et l’autonomie individuelles sont une solution de rechange rentable qui peut réduire les contraintes à long et moyen terme qui pèsent sur les dépenses publiques. 

Le plan décennal visant à mettre fin à l’itinérance de Calgary a démontré qu’il en coûte moins pour offrir des logements et du soutien convenables que les interventions continues d’urgence et institutionnelles à cout terme. La plupart des études montrent que les personnes ayant les besoins les plus élevés exigent des coûts de 100 000 $ ou plus par an – deux ou trois fois plus élevés que le coût lié à l’offre de logement et de soutien. Vancouver emboîte également le pas pour éradiquer l’itinérance dans les rues d’ici 2015.[6] 

Une analyse coûts-avantages des entreprises d'insertion du Québec a conclu que les économies de coûts et les recettes publiques accrues ont généré 96 millions de dollars pour les coffres provinciaux et fédéraux, créant des gains nets de 60 millions de dollars une fois les 36 millions de dollars représentant les contributions du gouvernement sont pris en compte.[7] 

La Learning Enrichment Foundation (LEF), à Toronto, favorise le développement social et économique par l’entremise d’une vaste gamme de programmes pertinents aux nouveaux Canadiens : établissement et entrepreneuriat chez les jeunes, prestation de services et formation en puériculture, cours de français, langue seconde et d'alphabétisation, soutiens à l’emploi, ainsi que la formation en préparation alimentaire, les compétences dans le domaine industriel et de la construction et la technologie informatique. L’évaluation de suivi montre que plus de 99 % des participants ont des revenus avant impôts plus élevés après leur participation aux programmes de la LEF. Les augmentations varient entre 24 % et 616 %, avec une médiane de199 %.[8]

Reconnaissant les avantages du soutien aux entreprises communautaires qui créent des répercussions sociales et économiques mixtes, le gouvernement du Québec a récemment annoncé des mesures pour accroître l’approvisionnement auprès des entreprises collectives et communautaires.[9]  Ces mesures permettent de mieux équiper les entreprises communautaires pour faire affaire avec les gouvernements et encourager l’approvisionnement auprès des entreprises communautaires au sein des ministères et organismes gouvernementaux. 

On peut utiliser les achats du gouvernement fédéral pour renforcer les entreprises communautaires en incluant des ententes de retombées pour la collectivité dans les contrats de plus de 500 000 $. Un parmi les exemples réussis à cet égard était dans le cadre de la construction du village des athlètes lors des Jeux olympiques et paralympiques d'hiver de 2010. L’entente comprenait la mise en œuvre d’un programme d’emploi et de formation pour offrir des emplois de débutants en construction aux résidents du quartier central de Vancouver, ce qui a permis de former 110 de ces résidents pour occuper des emplois dans le domaine de la construction, avec un taux de réussite de 78 % de ces stages. L’entente a également encouragé l’achat de biens et services auprès des entreprises du quartier central, ce qui s’est traduit par l’achat de 41,6 millions de dollars de biens et services auprès des entreprises du quartier central.[10] 

La stratégie la plus complète pour le gouvernement fédéral afin d’appuyer les entreprises communautaires serait par l’entremise de la mise en œuvre d’un cadre stratégique de DÉC.[11] Conçu selon le modèle du cadre mis en place au Manitoba, un cadre stratégique de DÉC comprendrait les principes du DÉC, ses objectifs et ses optiques d’analyse. L’établissement de principes clairs du DÉC orienterait les efforts du gouvernement vers le lancement d’initiatives pertinentes et la fixation d’objectifs permettrait de disposer de points de référence pour mesurer l’avancement des projets. Les optiques d’analyse du DÉC sont un outil efficace appuyant l’application des principes pour atteindre les objectifs, ainsi que pour examiner les politiques et programmes dans le but d’assurer leur harmonisation avec les principes. Cette combinaison de mesures constituerait le fondement pour un soutien pratique des entreprises communautaires. Elle permettrait d’orienter la mise en œuvre et la surveillance des initiatives qui répondent aux besoins économiques sociaux et environnementaux des collectivités locales, tout en renforçant les capacités au sein de ces collectivités afin qu’elles puissent assumer la responsabilité de leur propre développement.

En guise d’étapes pour le soutien des entreprises communautaires au Canada, nous proposons trois recommandations pour renforcer les capacités, accroître les occasions économiques et stimuler les investissements.

Recommandation 1 : Renforcer les capacités des entreprises communautaires par l’entremise d’un programme national d’expérience de travail pour les jeunes

Un programme national d’expérience de travail pour les jeunes favoriserait l’emploi des jeunes et l’acquisition des compétences et du leadership dans le secteur des entreprises communautaires. Des stages de travail ciblés pour appuyer le développement des entreprises communautaires en faisant appel à 300 jeunes sur une période de trois ans faciliteraient l’emploi dans ce secteur en plein essor et appuieraient la création de nouvelles entreprises communautaire qui tiennent compte des priorités de la politique publique. En s’appuyant sur le bilan du Réseau canadien de DÉC de programmes semblables, cela permettrait :

·         la participation à la vie active à impact élevé pour les jeunes;

·         appui stratégique au secteur des entreprises communautaires et la création de nouvelles entreprises;

·         Contribution à la création de services locaux pour répondre aux besoins de la communauté;

·         Une réalisation efficace par une entité nationale, bilingue à but non lucratif pour réaliser des économies d’échelle.

Le coût de ce programme serait de 6,2 millions de dollars échelonnés sur trois ans. 

Recommandation 2 : Utiliser l’approvisionnement pour appuyer les entreprises communautaires

Le gouvernement fédéral devrait intégrer un critère de valeur sociale dans tous les appels d’offres et inclure des ententes de retombées pour la collectivité dans tous les contrats dont la valeur dépasse 500 000 $. Ce procédé pourrait être appuyé par un nouveau Bureau des approvisionnements et des services à valeur sociale (BASVS). Le nouveau bureau sera conçu selon le modèle du Bureau de l'écologisation des opérations gouvernementales de Travaux publics et Services gouvernementaux et sa mission serait d’accroître la création de la valeur sociale dans l’ensemble des achats du gouvernement, sa prestation de services et ses marchés. En procédant au départ à l’évaluation et à la pondération du contenu des appels d’offres pour ce qui est de la valeur sociale et locale, le BASVS travaillerait avec d’autres ministères, particulièrement les Finances, Industrie Canada et RHDCC afin d’assurer la création de la valeur sociale et locale dans l’ensemble des achats et services du gouvernement. 

La valeur sociale est définie comme le fait de favoriser les entreprises communautaires en créant un critère de valeur sociale et locale et en l’intégrant dans tous les contrats et achats du gouvernement. Cela se traduirait par des économies locales vigoureuses, une augmentation de l’emploi à l’échelle locale et une inclusion sociale plus importante des citoyens canadiens actuellement marginalisés, par exemple les nouveaux immigrants et les jeunes à risque. 

Recommandation 3 : Mettre sur pied le Fonds d’investissement d’impact du Canada

Tel que recommandé par le rapport du Canadian Task Force on Social Finance intitulé Mobilizing Private Capital for Public Good,[12] afin de mobiliser de nouveaux capitaux en vue d’investissements d’impact au Canada, le gouvernement fédéral devrait conclure des partenariats avec des investisseurs privés, institutionnels et philanthropiques pour mettre sur pied le Fonds d’investissement d’impact du Canada. Un investissement fédéral de 20 millions de dollars par année (pour une période de cinq ans) dans la première partie des pertes, devant être complété par un apport d’un montant identique de la part des investisseurs privés, institutionnels et philanthropiques dans un « fonds de fonds » donnerait le coup d’envoi au capital d’investissement social au Canada. Ce fonds appuierait les fonds régionaux existants pour joindre le plus grand nombre de personnes et catalyser la création de nouveaux fonds pour appuyer les entreprises communautaires partout au Canada. 

Conclusion

Nous payons tous lorsque des Canadiens vivent dans la pauvreté. Les anciennes approches qui traitent les symptômes de la pauvreté plutôt que ses causes, et qui ne sont pas en faveur de l’investissement dans le développement humain, sont de plus en plus inaccessibles et injustifiables. Elles ne trouveront jamais des solutions aux problèmes auxquels nous faisons face. Les initiatives locales à la grandeur du pays démontrent comment des solutions communautaires coordonnées qui investissent dans les personnes obtiennent de meilleurs résultats et dont l’ensemble des Canadiens tire avantage. 

Les entreprises communautaires ont un important rôle à jouer pour créer les conditions d’une reprise économique stable et équitable. Le Canada dispose d’une précieuse occasion d’adapter et de mettre en œuvre des programmes qui ont fait preuve de réussite tant à l’échelle internationale que locale. Ces recommandations représentent des étapes pratiques qui permettront aux collectivités d’avoir une grande souplesse pour concevoir de façon novatrice des solutions locales pour des problèmes complexes de pauvreté, de rétrécissement du bassin de main-d’œuvre et de contraintes financières. Les entreprises communautaires mettent à profit le pouvoir du leadership local et les investissements communautaires en s’appuyant sur les actifs existants. Les entreprises communautaires représentent un élément essentiel pour tout plan visant à accroître la prospérité et créer un avenir économique social et environnemental viable. La politique économique et financière fédérale devrait éliminer les obstacles qui pèsent sur l’initiative communautaire et appuyer les entreprises communautaires. 

Remerciements

Le présent mémoire a été préparé par le Réseau canadien de développement économique communautaire pour le Comité permanent des finances de la Chambre des communes

Les personnes et les organismes suivants sont membre du conseil sur les politiques du Réseau canadien de DÉC : 

Lisa Barrett, Vancouver (C.-B.)

Louis Joe Bernard, Union of Nova Scotia Indians, Membertou (N.-É.)

Crescentia Dakubo, Thunder Bay (Ont.)

Norman Greenberg, Affirmative Industry Association of Nova Scotia, Hatchet Lake (N.-É.)

David LePage, Enterprising Non Profits, Vancouver (C.-B.)

Roz Lockyer, PARO Women’s Enterprise Centre, Thunder Bay (Ont.)

Jeff Loomis, Momentum, Calgary (Alb.)

Lynne Markell, Association des coopératives du Canada, Ottawa (Ont.)

Ed McKenna, Nunavut Anti-Poverty Secretariat, Iqaluit (Nt)

Sara Strickland, Halifax (N.-É.)

Joe Valvasori, Regional Municipality of Halton, Halton (Ont.)

Ray Wanuch, Conseil pour l'avancement des agents de développement autochtones, Edmonton (Alb)

Le Réseau canadien de développement économique communautaire

Le présent mémoire a été préparé par le Réseau canadien de développement économique communautaire (DÉC) pour le Comité permanent des finances de la Chambre des communes dans le cadre de ses consultations en vue de la préparation du budget fédéral de 2012. Le Réseau canadien de DÉC est une association nationale d’organismes communautaires, de coopératives, de caisses populaires, de fondations, de municipalités et de praticiens œuvrant pour améliorer les conditions sociales, économiques et environnementales des collectivités au Canada. Nous disposons de plusieurs centaines d’organismes membres dans chaque province et territoire, y compris les collectivités urbaines, rurales, du Nord et autochtones. Notre bureau central se trouve à Victoriaville (Québec) et nous disposons de personnel dans les régions et de comités membres partout au Canada. Le développement économique communautaire est une initiative lancée par les citoyens pour améliorer les conditions et économiques de leurs collectivités de façon intégrée et inclusive, réduisant ainsi la pauvreté, le chômage et le désavantage social en faisant l’acquisition d’éléments d'actifs et en créant des occasions.



[1]      Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Croissance et inégalités : Distribution des revenus et pauvreté dans les pays de l'OCDE. Publication de l'OCDE, 2008, http://www.oecd.org/dataoecd/44/48/41525292.pdf

[2]      Ontario Association of Food Banks, The Cost of Poverty: An Analysis of the Economic Cost of Poverty in Ontario http://www.oafb.ca/assets/pdfs/CostofPoverty.pdf

[4]      De plus amples renseignements se trouvent dans les documents du Sommet pancanadien de l'économie citoyenne, qui a nécessité un processus de participation généralisé où on a consulté des centaines de Canadiens dans l’ensemble du pays.  http://www.ccednet-rcdec.ca/en/summit

[5]      The Social Rate of Return to Investing in Character: An Economic Evaluation of Alberta’s Immigrant Access Fund Micro Loan Program, 2010, http://www.iafcanada.org/pdfs/The%20Social%20Rate%20of%20Return%20to%20Investing%20in%20Character%
20March%2031-10.pdf

[7]      Étude d’impacts socio-économiques des entreprises d’insertion du Québec, 2011, http://collectif.qc.ca/communications/pdf/Etude/Synthese_Etude_impactsEI.pdf

[8]      Place-Based Poverty Reduction: How Community Economic Development is reducing poverty in Canada and how it could be doing more, 2008, http://www.ccednet-rcdec.ca/files/ccednet/Place-Based_Poverty_Reduction_Main_Report.pdf

[9]      Initiatives pour développer l’achat public auprès des entreprises collectives, 2011, http://www.mamrot.gouv.qc.ca/grands-dossiers/economie-sociale/initiatives-pour-developper-lachat-public-aupres-des-entreprises-collectives/

[11]   Building a Federal Policy Framework and Program in Support of CED, 2011, http://www.ccednet-rcdec.ca/en/node/10236